Syndrome partout, imposteur nulle part

Les articles et les prises de parole dans les différents médias sur le syndrome de l’imposteur fleurissent depuis plusieurs année. Tous le clament haut et fort : non vous n’êtes pas mauvais ! oui, vous êtes légitime ! oui, vous méritez votre poste / salaire / promotion / reconnaissance… et apparemment, dans bien des cas, les auteurs seraient touchés par ce terrible syndrome qu’ils auraient mis du temps à identifier et surmonter, mais ouf maintenant c’est bon et ils vont vous aider à faire de même !

Au risque d’en froisser certains, je suis devenue littéralement allergique à ce discours teinté de psychologie positive et de développement personnel bas de gamme. Et d’abord, pour des raisons scientifiques : le syndrome de l’imposteur a été décrit pour la première fois dans les années 1970 et, s’il semble faire globalement consensus auprès des psychologues et psychiatres, sa définition en reste assez générale. On décrit généralement les comportements suivants comme étant liés à ce syndrome :

  • La causalité externe : quand la personne réussit ce qu’elle entreprend, elle en attribue les causes à l’environnement extérieur (la chance, l’aide d’autres personnes…) plutôt qu’à elle-même (son travail, son talent…)
  • La peur de l’échec : persuadée d’être un imposteur, c’est-à-dire de ne pas mériter sa place et de ne pas avoir les compétences requises, la personne vit dans l’obsession constante que ce qu’elle va réaliser ne va pas réussir
  • Mais aussi la peur de la réussite : si un projet réussit, la personne atteinte du syndrome devra continuer à faire bonne figure et à passer pour ce qu’elle pense ne pas être. Ainsi, une réussite, paradoxalement, hausse encore le niveau d’angoisse de la personne au lieu de la rassurer quant à ses compétences
  • Manque de confiance en soi et faible estime de soi
  • Comparaison constante avec les autres, avec bien sûr un résultat toujours négatif (lui réussit mieux que moi)
  • Le surinvestissement dans ses tâches pour cacher sa prétendue incompétence
  • La peur d’être découvert : la personne est persuadée d’être un imposteur, de ne pas mériter sa place, elle va donc se donner à 200 % pour donner le change et ne pas révéler son imposture

La littérature insiste sur le fait qu’une personne atteinte du dit syndrome ne recouvre peut-être pas toutes ses caractéristiques, ou pas toute en même temps. Un tel flou peut amener une très grande partie de la population à se reconnaître dans la description. En effet, qui n’a jamais eu peur de l’échec au moins une fois ? Qui ne s’est jamais surinvesti dans un projet qui lui tient à cœur ? N’importe qui peut s’auto diagnostiquer très vite alors qu’un professionnel mettrait certainement plus de nuances. C’est ainsi que le Journal of Behavioral Science nous apprend que 70% des personnes se sentent concernées par ce syndrome. Peut-on encore parler dans ce cas de syndrome ? Ne serait-ce pas plutôt une expérience universelle ?

Deuxièmement, je souhaiterais m’attarder sur le dernier point cité, et qui me paraît fondamental : la peur d’être découvert. En effet, une personne concernée par ce syndrome pense sincèrement qu’il est imposteur. Sa plus grande peur est donc qu’on le démasque, que l’entourage découvre qu’il n’a rien à faire là. Il est sincèrement angoissé par cette perspective et va tout faire pour éviter cette situation. Que penser alors de toutes ces personnes qui brandissent qu’elles sont « atteintes » du syndrome de l’imposteur ? Le clamer ne revient-il pas à crier : ohé, je suis là ! Ces personnes sont en complète contradiction avec l’exigence de discrétion et de profil bas liée au syndrome. En bref, une personne qui se revendique haut et fort du syndrome de l’imposteur… n’en est pas atteint. Ou en tout cas, ne l’est plus.

Mais alors, de quoi tout cela est-il le nom ? Cette épidémie de coming out du syndrome de l’imposteur ne serait-elle pas plutôt de la fausse modestie ? Du personal branding ? J’ai du talent, regardez ! admirez ! je l’ai caché longtemps mais je le revendique aujourd’hui ! En un mot, l’inverse du syndrome de l’imposteur qui est, comme souvent, détourné, galvaudé et vidé de son sens.

Laisser un commentaire