Le blues du DRH qui aime vraiment son travail

Tout a commencé ce week-end. Il ne faisait pas très beau, mais ce n’est pas le sujet. Je sociabilisais (enfin, je parlais avec des personnes que je ne connaissais pas ou peu) quand vint la terrible et angoissante question : « et tu fais quoi dans la vie ? ». Moi, stressée parce que habituée aux réactions que je qualifierai courtoisement de « distantes », je rassemble mes forces pour répondre « je suis DRH ».

L’effet habituel se produisit : un froid, un énorme blanc, un malaise. Puis un regard mi apitoyé mi condescendant accompagna la question suivante : « Et tu licencies beaucoup en ce moment ? ».

Avec une dizaine d’années d’expérience dans les Ressources Humaines, je devrais être habituée à ces réactions. Pourtant, ce week-end, je l’ai particulièrement mal vécu. Peut-être parce que trois personnes différentes m’ont posé exactement ces deux même questions en moins de deux heures. Peut-être surtout à cause du phénomène d’usure. Alors je le dis, je suis DRH, je ne licencie pas, j’aime mon travail… et j’ai le blues.

L’image négative des DRH

Mon mari est Sapeur Pompier. Quand on lui demande ce qu’il fait dans la vie, les regards s’illuminent, les interlocuteurs sont immédiatement pris de sympathie, tout le monde loue, applaudit, soutient, reconnaît la diffulté de la tâche, a son anecdote, etc. L’exact négatif de l’effet DRH.

Certes, la conjoncture n’aide pas et les médias parlent actuellement plus des réductions d’effectifs et autres Ruptures Conventionnelles Collectives que des personnes qui s’épanouissent dans leur activité professionnelle. Cependant, il est intéressant de constater que malgré les fameuses nouvelles organisations du travail, malgré les démarches autour de la Qualité de Vie au Travail, malgré les avancées certaines dans quelques domaines comme la généralisation du télétravail (titre III chapitre I), malgré les labels qui se multiplient tels que Great Place To Work ou ChooseMyCompany, malgré les initiatives plus ou moins réussies comme J’aime ma boîte… dans l’imagine collectif, le DRH reste celui qui licencie.

Il est étonnant de voir que le DRH n’est pas identifié en premier lieu comme celui qui recrute (ce qui est pourtant souvent le cas, le recrutement étant souvent un volet traité par les RH) ou comme celui qui paie (ce qui est pourtant encore plus souvent le cas). D’autant plus étonnant qu’a priori toute personne qui travaille a été recrutée un jour et est payée chaque mois, et que tous n’ont pas été et ne seront pas nécessairement licenciés un jour.

Etonnant également de constater que le public ne fait pas la part des choses entre les personnes qui décident de licencier quelqu’un ou de procéder à un licenciement collectif (bien souvent la Direction Générale, les managers opérationnels) et la personne qui va appliquer une décision et y apporter son approche professionnelle et sa connaissance technique du sujet.

Etonnant aussi de remarquer que malgré le nombre important de professionnels des RH que je connaisse, aucun ne m’a jamais dit qu’il adorait licencier ou qu’il avait choisi ce métier pour s’adonner avec bonheur aux licenciements. Comme si finalement être DRH ne consistait justement pas uniquement à licencier, étrange.

Quoi qu’il en soit, dans les yeux du public, le DRH représente la cible à abattre. Le loup dans la bergerie. Comme si, si on supprimait le DRH, il n’y aurait plus de risque de licenciement. Raisonnement que je trouve intéressant de simplisme.

 

L’image affligeante du DRH Chief Happiness Officer

Comme quelques uns de mes confrères, je m’intéresse en premier lieu à l’expérience vécue par mes collaborateurs, leur bien-être, leur équilibre, leur évolution de carrière, leurs formations, etc. J’essaie de faire en sorte que chacun s’épanouisse au mieux dans sa vie professionnelle. Pour cela, je m’appuie sur différents leviers, comme la convivialité, l’entraide, l’esprit d’équipe, la proximité, la simplicité des relations, l’individualisation de l’expérience… Ainsi, une partie (parmi tant d’autres) de mon travail consiste à organiser des événements (réunions d’informations mais aussi célébrations diverses, animations, séminaires, etc.), à aménager l’espace de travail pour le rendre convivial et agréable, etc.

Vous aussi vous voyez arriver le mirage du CHO? Vous savez, le Chief Happiness Officer, cette personne qui a en ligne de mire le « bonheur » de ses collaborateurs et qui va s’attacher à organiser des cours de salsa et à repeindre les murs de la bonne couleur… Alors oui, l’animation et l’aménagement des locaux sont une partie du métier, mais je trouve affligeant que certaines personnes réduisent la fonction du DRH à celle de GO (vous savez, les Gentils Organisateurs du Club Med) ou d’animateurs de colonies de vacances. Quand ma fille de 9 ans le fait, ça me fait sourire. Pour les autres…

En effet, certaines personnes, probablement bien attentionnées, vont rapidement faire cet analgame malheureux et des raccourcis faciles tels que : cette entreprise est géniale, on a un baby foot ! Et on a fait un référendum pour le choix des peintures !

Misère… même des personnes qui me connaissent et me supportent quotidiennement (au sens d' »arriver à vivre avec », pas cet horrible anglicisme qui signifie « soutenir ») peuvent tomber dans le panneau. A moins qu’ils ne le fassent par provocation… Quoi qu’il en soit, réduire la fonction du DRH à celle d’animateur est au moins aussi méprisant que de la réduire à celle de la personne qui licencie.

 

Alors, quand l’image qu’autrui nous renvoie de notre fonction oscille entre ces deux extrêmes et qu’on a le bon/mal heur d’aimer son métier, il arrive qu’on ait le blues. Pas facile tous les jours de passer presque autant de temps à justifier ce qu’on est et ce qu’on fait qu’à mener des actions concrètes. Pas évident d’avoir l’impression de devoir expliquer en permanence, décortiquer, argumenter ce qui devrait être évident pour tous… si tous partageaient la même vision humaine de l’entreprise que les DRH qui aime leur métier ont.

Je suis tellement fâchée avec ces deux images que j’en ai abandonné les appellations : je ne suis pas DRH, je ne suis pas CHO. Je suis au service des personnes et de la culture de mon entreprise.

 

Mais alors, qu’est-ce que tu fais ? C’est quoi être DRH ?

A priori, on ne devient pas DRH par appât du gain, ni parce qu’on a vu de la lumière (enfin ça peut arriver mais je vous garantis qu’on ne tient pas longtemps dans la fonction sans un minimum de passion et d’intérêt). On peut devenir DRH pour différentes raisons, mais ce qui sous-tend le tout – attention, surprise ! – c’est l’humain.

Oui, il semblerait qu’être DRH c’est s’intéresser aux êtres humains qui composent l’entreprise. A cela s’ajoute tout un tas d’ingrédients, du droit du travail, des outils, des process, des chiffres, des objectifs, tout ce que vous voulez, mais à la base, il y a des êtres humains.

Quand j’essaie d’expliquer ma vision du métier et ce en quoi consiste mon quotidien, je dégage trois grand axes :

Une ambiance de travail et une atmosphère saines, stimulantes et conviviales

J’estime que mon rôle est de faire en sorte que mes collaborateurs aient envie de venir travailler chaque matin. Qu’ils viennent avec enthousiasme, parce qu’ils aiment leur métier, parce qu’ils se sentent bien au travail, parce qu’ils ont une bonne relation avec leurs collègues, pour d’autres raisons, toutes à la fois… en fonction de leur personnalité, de leurs valeurs, de leurs goûts. J’essaie de cultiver cet aspect positif, en proposant un cadre de travail sain, que ce soit physique, moral, intellectuel ou psychique.

Un vaste sujet donc qui ouvre la porte à des nombreuses préoccupations :

  • Un cadre de travail
    • Des locaux agréables, bien agencés et pensés pour la réalisation du travail dans de bonnes conditions
    • Des outils et des conditions de travail adaptés
  • Relations & management
    • Des relations simples, conviviales et de proximité
    • De l’écoute et de la disponiblité
    • L’honnêteté
    • La possibilité de s’exprimer
    • Un management bienveillant
    • Le droit à l’erreur
    • Des moments de rencontre et de partage
    • De la compréhension et de la souplesse
  • Le respect de chacun et de ses particularités
    • Le respect et l’acceptation de tous
    • L’individualisation de l’expérience de travail
    • L’équilibre entre vie privée et vie professionnelle
    • Des possibilités d’évolution professionnelles et de l’accompagnement personnalisé

Une liste non exhaustive mais représentative de l’ampleur de la tâche pour faire en sorte que tous se sentent bien dans leur cadre de travail.

Permettre à chacun d’évoluer professionnellement

Chaque personne a ses compétences, ses aspirations, ses souhaits et ses objectifs. Je pense que mon rôle est d’accompagner chacun dans sa réalisation professionnelle et sa progression. Pour moi, le passage d’une personne dans une entreprise, qu’il dure 6 mois ou 20 ans, ne doit pas être neutre et doit avoir permis au collaborateur d’évoluer d’une quelconque façon.

Ainsi, ma fonction consiste à mettre en place toutes les conditions à la réalisation de cette évolution :

  • Suivi de carrière de proximité et individualisé
  • Encadrement bienveillant, honnête et franc
  • Définition d’objectifs personnalisés permettant d’évoluer dans la direction souhaitée
  • Mise en place d’un accompagnement personnalisé, management, coaching, formation ou autre
  • Recherche de l’adéquation entre ce que l’entreprise peut offrir et les aspirations des collaborateurs
  • Droit à l’erreur
  • Possibilité d’essayer de nouvelles choses, fonctions, missions, responsabilités, et possibilité de revenir en arrière
  • Accompagnement sur le long terme, dans une continuité et avec une vision qui va au-delà de ce que propose l’entreprise
  • Adaptation à toutes les particularités

L’individualisation et le respect de chacun sont les clés de cet axe.

Susciter la réussite collective et celle de l’entreprise

Les deux premiers axes doivent permettre à chaque collaborateur d’apporter sa pierre à l’édifice de l’entreprise. Il s’agit de tous travailler dans la même direction pour progresser tous ensemble. Mon rôle en tant que DRH est de participer à la cohésion de l’entreprise, de faire en sorte que tous aillent dans la même direction. Pour ce faire, je dois veiller à différents facteurs :

  • Communication de la stratégie de l’entreprise et des objectifs collectifs
  • Faire en sorte que les objectifs individuels soient cohérents avec les objectifs collectifs
  • Permettre à tous d’apporter sa contribution au projet de l’entreprise, en donnant son avis, en proposant des orientations, des projets, etc. Ce qui signifie pour le DRH, mettre en place un environnement et des conditions permettant de remplir ce point
  • Entretienir la cohésion au sein de l’équipe

 

Pour moi, le DRH qui veille au bien-être de ses salariés doit porter ces différentes missions avec passion et conviction. Bien au-delà donc de l’étiquette du CHO et très loin du DRH qui licencie…